Des lumières contrastées 

Cassirer, Horkheimer et Adorno

Jean-Marie Paul

pp. 83-101

A comparer La philosophie des Lumières — 1932 — de Cassirer et la Dialectique des Lumières de Horkheimer et Adorno, rédigée en 1944, le lecteur naïf penserait qu’il ne s’agit pas des mêmes Lumières. Cassirer montre un optimisme généreux, tandis que Horkheimer et Adorno décrivent une destruction de la nature et une autodestruction de la Raison. Or ces deux œuvres de référence sont très liées à la conjoncture. Le livre de Cassirer n’est nullement érudit, l’omission d’une « foule de détails » est, suivant Jean-Marie Paul, le moyen de procéder à une « globalisation contestable », à produire une continuité dynamique de l’Antiquité grecque aux Lumières en passant par l’humanisme de la Renaissance et la Réforme. Au contraire J.-M. Paul insiste sur la pluralité du xviiie siècle, sur la discontinuité historique. Enfin Cassirer se tromperait en croyant sans critique au caractère désintéressé des positions philosophiques des Lumières. A l’exact opposé, Horkheimer et Adorno voient dans les Lumières l’obsession d’efficacité autodestructrice, à l’usine comme au champ de bataille, dans un monde désenchanté. Ce disant et nonobstant leurs déclarations, ils retrouvent la critique des Lumières de Hamann s’opposant aux « arithméticiens politiques », de Herder, de Schegel et de Novalis. Et ce disant ils rejoignent, en dépit qu’ils en aient, le refus des Lumières si virulent en Allemagne, notamment depuis Bismarck. Parallèlement à Cassirer ils produisent une continuité des Lumières destructrices, de Parménide à Hitler. Le caractère conjoncturel de ces deux grandes œuvres, déterminantes dans la réception des Lumières au xxe siècle explique leur aspect réducteur, mais qui dans les deux cas n’articulent pas la généralité d’une position et la réalité historique allemande. Horkheimer et Adorno « authentifient plus rigoureusement la barbarie désodorisée d’un visage impersonnel qu’ils n’expliquent la barbarie des chemises à un moment donné de l’histoire ». Les positions philosophiques à l’égard des Lumières — « Toujours la philosophie a pactisé avec les forces qu’elle condamne » — auront manqué la place historique spécifique des Lumières au xviiie siècle et perpétuent tragiquement une crise des Lumières.

Publication details

DOI: 10.4000/rgi.486

Full citation:

Paul, J. (1995). Des lumières contrastées : Cassirer, Horkheimer et Adorno. Revue germanique internationale - ancienne série 3, pp. 83-101.

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