Le moi, l'unique et le néant 

Nietzsche et Stirner. Enquête sur les motifs libertaires dans la pensée nietzschéenne

Arno Münster

pp. 157-172

Malgré le fait que nous ne possédons que des indices et des hypothèses permettant de penser que Nietzsche ait sûrement connu et lu L’unique et sa propriété de Stirner, les affinités de pensée entre ce représentant unique d’un anarchisme individualiste (extrême) et l’individualisme de Nietzsche sont telles qu’il nous paraît légitime de soutenir la thèse d’une ressemblance (dans certaines limites) des deux systèmes de pensée – ressemblance qui s’établit notamment au niveau du refus radical de l’État, de la morale, du droit, de la pitié et de l’égalitarisme. Des différences de vue deviennent cependant transparentes à partir du moment où Stirner, au nom de l’unéitisme égoïste, appelle à la révolte anti-autoritaire contre l’État, le droit et les institutions, alors que Nietzsche, en philosophant « avec le marteau », se contente d’en appeler à la force et à la puissance de l’ « homme supérieur » qui méprise les faibles et les malades, les pauvres, les prolétaires et les démocrates, au nom d’un « aristocratisme d’esprit », de la nécessité d’un « pathos de la distance » et de la supériorité (physique et morale) des maîtres (seigneurs) sur les esclaves. Alors que la critique nietzschéenne de la morale est, au fond même, une critique du « nihilisme » chrétien, opposant à ce dernier une antimorale vitaliste, l’unicisme égoïste de Stirner débouche, de par sa volonté destructrice quasiment illimitée, sur une volonté « nihiliste » voulant faire table rase de tout ce qui ose s’opposer au Moi et à sa volonté de toute-puissance. Ce qui les unit cependant, c’est la volonté commune d’élaborer les fondements théoriques d’une doctrine radicalement consciencielle de l’individu, défendant sa propre dignité contre toutes les contraintes imposées par la collectivité et l’État, son représentant par excellence, dans la réalité sociale.

Publication details

DOI: 10.4000/rgi.716

Full citation:

Münster, A. (1999). Le moi, l'unique et le néant : Nietzsche et Stirner. Enquête sur les motifs libertaires dans la pensée nietzschéenne. Revue germanique internationale - ancienne série 11, pp. 157-172.

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